Nos racines romagnoles
de Maria Landi et Anna Ragazzini
Premiere partie
Chaque histoire qui peut s’appeler comme telle, a toujours une origine, parfois due au hasard, à une découverte, à une circonstance particulière, à un ensemble de faits qui concourent à donner un début à l’histoire elle-même.
Celle que je m’apprête à raconter est l’histoire d’une vie, ou plutôt d’un ensemble d’existences et de leurs évènements tourmentés, dont je n’avais auparavant, absolument aucune connaissance parce qu’elles n’appartiennent pas à la sphère habituelle dans laquelle se déroule ma vie.
Le hasard voulut qu’un après-midi pluvieux de septembre 2003, peut-être l’unique jour de pluie de ce long et torride été, je fusse appelée au téléphone par notre prêtre, qui me demandait de l’aider à comprendre les questions de deux femmes françaises. Dans un bar du centre, je trouvai deux jeunes femmes, arrivées dans la matinée, essayant de glaner auprès des clients du bar et des serveurs, quelques informations sur des parents ayant vécu au pays il y a plus de 80 ans.
Je dois confesser qu’au début je ne réussis pas à bien saisir le but de leur visite : elles me parlaient de grands-mères, d’arrière-grands-parents, d’orphelinat, de quartiers de CastelBolognese mentionnés avec une simple lettre, d’émigrants, de parenté…Je me fis réexpliquer le problème et peu après nous remîmes de l’ordre dans la marée des informations données et demandées. En fait, elles cherchaient des renseignements sur la grand-mère d’Annette, Santina Vigili, née en 1912 et ayant vécue à CastelBolognese jusqu’en 1929, année où elle émigra en France. Elle était orpheline de mère depuis sa plus tendre enfance et son père, Antonio, parti pour la France après la mort de sa femme, avait laissé la petite Santina à l’orphelinat du pays et avait emmené avec lui son fils Primo, plus âgé. En 1929 Antonio, désormais intégré avec son fils dans le Sud-Ouest de la France, comme journalier, était revenu chercher sa fille, déjà grande, pour recomposer au mieux son infortunée famille.
Je ne savais vraiment pas comment aider Annette dans ses recherches. Les bureaux de la Mairie étaient déjà fermés ; le prêtre avait cherché à contacter les “Œuvres Pieuses” pour avoir des informations sur les archives de l’orphelinat, mais il fallait du temps. Nous nous rendîmes à la bibliothèque pour chercher de vieilles publications, mais nous ne trouvâmes rien d’utile. Nous essayâmes au cimetière, dans le secteur des vieilles tombes, pour chercher la maman de Santina, Pasqua Plazzi morte très jeune, mais rien : le fait que le lieu-dit où elles habitaient, fût indiqué avec une initiale et non avec le nom entier, nous empêchait de savoir de quel quartier il s’agissait.
Comme ultime recours, je décidai de les conduire chez moi, soit pour parler avec ma mère, castellane depuis toujours, soit pour feuilleter ensemble quelques livres traitant de l’histoire du pays. Nous découvrîmes ainsi que le bâtiment de l’orphelinat situé Via Garavini, avait été supprimé en 1923 pour insalubrité et réadapté en appartements à usage civil. Le nouvel orphelinat avait été reconstruit dans une autre zone et inauguré en 1935 grâce à la générosité d’une ancienne élève devenue par mariage comtesse Ginnasi. Voilà notre première découverte, malheureusement d’aucune aide pour Annette, qui désormais, comme nous, se demandait où avait vécu Santina durant les années qui vont de 1923 à 1929. En outre, existaient-ils au pays des parents et des connaissances qui se souvenaient de Santina ? Où était la maison dans laquelle habitait la famille Vigili ? Personne n’était capable de donner des réponses à ces questions.
Malheureusement la Seconde Guerre Mondiale s’était acharnée considérablement sur notre pays, le détruisant presque entièrement et les ruines des vieilles maisons avaient été remplacées par des constructions neuves.
La curiosité de cette histoire qu’Annette me racontait, m’interpella sur le pourquoi de sa recherche tardive, alors que la grand-mère Santina était morte depuis plus de 20 ans, ce qui rendait désormais difficile de trouver des personnes contemporaines ou plus âgées qu’elle, qui pourraient se souvenir d’elle ! La réponse d’Annette fut qu’elle avait toujours entendu la grand-mère parler avec amour de son pays natal, répéter souvent ce dont elle se rappelait et exprimer sa nostalgie en évoquant son lieu de naissance qu’elle idéalisait et rêvait.
Un jour, il y a deux ans, surfant sur Internet, Annette trouva le site de CastelBolognese et de son histoire, elle fut prise par le désir de chercher ses racines italiennes et les origines de sa famille. Elle se mit en relation avec le créateur du site, mais ne trouva pas d’informations suffisantes. Elle entraîna dans son enthousiasme d’autres parents et commença à étudier l’italien.
Aujourd’hui elle était là, espérant venir à bout de quelque chose de concret.
Elle était venue à CastelBolognese, comptant trouver, dans le bref instant d’un après-midi, des informations importantes qui satisferaient un peu sa curiosité. Elle séjournait avec une amie à Rimini, où la grand-mère avait passé les étés au bord de la mer chez les sœurs de la même congrégation que celles qui gèrent l’orphelinat de Castello, les Filles de la Charité, dites, les “Cappellone”[1]. Elle avait mené quelques enquêtes là-bas aussi, mais qui n’aboutirent pas.
C’était la première fois qu’elle venait en Italie et elle l’avait fait pour voir CastelBolognese !
Maintenant elle retournait chez elle, un peu déçue. Instinctivement j’éprouvai de la sympathie pour Annette, qui en outre a le même âge que moi. J’essayai d’imaginer combien était profond le désir de trouver ses propres racines, l’origine de sa famille. Je n’avais jamais pensé à ceci, tous mes proches étant au même endroit et les ancêtres facilement identifiables et répartis sur peu de kilomètres. Je promis à Annette de m’engager et je me fis donner son adresse à Arcachon, près de l’océan atlantique, dans les environs de Bordeaux. J’espérai qu’elle fut un peu réconfortée par ma promesse, mais je n’étais pas sûre de réussir à l’aider. Il s’était passé tant de temps ! Il y avait eu une guerre si dévastatrice ! Tout avait changé : les choses, les maisons, les gens.
La pensée qu’Annette me faisait confiance, ne me laissait plus en paix, mais je ne savais que faire. J’attendais des nouvelles des archives des “Œuvres Pieuses” mais je n’eus aucun retour. Les personnes qui d’habitude s’intéressent à l’histoire du pays, ne savaient rien de l’orphelinat. Un peu de tristesse me vint en constatant que ceux ne sont pas les personnes modestes et infortunées qui intéressent l’Histoire. Je pensai téléphoner à tous les Plazzi notés sur l’annuaire téléphonique, mais je nourrissais peu d’espoir.
Ensuite le hasard m’aida et en peu de jours je vins à bout de quelque chose de concret. Un soir je cherchai à téléphoner à une amie et sa mère me répondit. En écoutant sa voix, il me vint à l’esprit qu’elle avait eu des contacts avec l’orphelinat et je lui demandai si elle savait quelque chose sur les orphelines des années 20 et où étaient-elles entre 1923 et 1935. Elle le savait : Elles avaient été transférées au Collège Emiliani de Fognano, une institution très réputée qui accueillait de nombreuses classes.
Il s’agissait d’un groupe de 10/12 orphelines, en majorité orphelines de guerre.
Je téléphonai immédiatement aux sœurs qui gèrent l’institut et la mère supérieure m’invita à me rendre sur place, même si elle ne pensait plus trouver de documents de cette époque. La guerre avait sévie là aussi, mais au moins le bâtiment est resté. Je pensai à Annette, aux photographies que je ferais pour elle, je me disais qu’elle serait contente de voir les pièces de l’orphelinat de Fognano, le réfectoire, le dortoir…
J’avais déjà fixé un rendez-vous avec la mère supérieure de Fognano, quand un vendredi matin, au marché, je rencontrai Gemma Plazzi, une personne de notre connaissance, et ma mère en profita pour lui demander si par hasard elle avait des parents en France. Très, très émue, Gemma cria : “Tina !”. En un éclair nous comprîmes que nous avions fait mouche de nouveau et encore mieux que Fognano. C’était la cousine germaine de Santina, étant la fille du frère de Pasqualina Plazzi. Annette avait eu raison : il y avait encore des parents à Castello, et combien ! Gemma a trois frères et sœurs, tous avec enfants et petits-enfants.
Je ne résistai pas et j’envoyai de suite une carte postale à Annette pour la mettre au courant de mes découvertes. Je lui écrivis en suivant une lettre avec la documentation trouvée à Fognano et chez Gemma. Je me réjouissais pour elle, ou plutôt nous étions nombreux à nous réjouir…
Avec ma mère, impliquée avec beaucoup d’émotion dans cette histoire, je me rendis à Fognano, au Collège Emiliani. Nous trouvâmes les sœurs très disposées à nous aider, impatientes de nous communiquer les résultats de leurs recherches. Malheureusement aucun document, mais une photographie remontant à 1920 et représentant un groupe d’enfants avec deux sœurs “cappellone”. Je regardai la photo sans bien comprendre aussitôt de quoi il s’agissait, mais au recto, dans une belle calligraphie, étaient listés les noms des enfants du rang inférieur. Le nom de Vigili Santina me sauta aux yeux et je tournai la photo pour comprendre laquelle c’était. L’émotion était immense, comme si j’avais trouvé la photo de ma propre grand-mère enfant.
La sœur qui nous avait apporté la photographie, continuait à affirmer qu’ici chez elles il y avait encore une sœur de cette période, propriétaire de la photo, en bonne santé, mais avec des problèmes de mémoire. Je dois confesser que j’étais tellement émue que je ne saisis pas de suite l’importance de la chose. Je me demandai quelle sœur était–elle, une sœur de l’orphelinat, déjà sœur en 1920 ? Elle devait être ultra centenaire !
Au contraire il s’agissait d’une orpheline, née en 1914, compagne de Santina, qui par la suite était devenue sœur au couvent de Fognano. Nous pensions qu’elle ne se rappellerait de rien, mais les sœurs nous menèrent auprès d’elle. Assise dans l’église occupée à égrener son chapelet, il y avait une toute petite sœur, petite comme une enfant, qui nous fut présentée comme Sœur Teresa Caterina. Elle était l’unique survivante du groupe de 12 petites filles qui en 1923 avaient été transférées de CastelBolognese à ici. Orpheline de guerre ( son père était mort en 1915) elle se souvenait parfaitement de Santina, elle nous parla longtemps, d’une manière lucide de leur vie avant à CastelBolognese puis à Fognano. Elle déclara aussi que Santina était une de ses cousines, mais ceci laissa perplexe les autres sœurs, qui jugèrent la chose peu crédible étant donné l’état actuel de sa mémoire.
J’étais vraiment enthousiaste : maintenant j’avais quelque chose de concret, de tangible, à envoyer à Annette. J’avais photographié les pièces du collège, l’église, la petite sœur… La mère supérieure m’avait donné quelques dépliants, j’avais la photocopie de la photographie et un tas de nouvelles des six années vécues par Santina dans ce collège.
Peu après, je rencontrai Gemma Plazzi, pour parler plus en détail de ses souvenirs. Elle m’informa de la parenté avec la famille Naldi, dont les descendants sont encore à Castello. Elle me dit que ses frères et sœurs étaient très intéressés par les recherches et qu’ils avaient trouvé des personnes âgées qui se souvenaient bien de la famille Vigili. Au cimetière de Biancanigo il y a les tombes de la grand-mère de Santina, des oncles et tantes et de la maman Pasqua, la tombe de celle-ci avait été déplacée pour des travaux d’agrandissement du cimetière. J’allai photographier les tombes des parents d’Annette et les lui expédiai à Arcachon, ainsi que toutes les informations et documentations recueillies.
Annette me répondit avec une immense gratitude et reconnaissance. Elle m’écrivit qu’à la vue des photographies et à la lecture de ma lettre, sa mère Micheline, fille aînée de Santina, et elle, éprouvèrent une émotion indescriptible. Tout ceci était très beau : désormais je me sentis si proche d’Annette qui me semblait la connaître depuis toujours.
Elle me demanda si je pouvais retrouver quelques informations sur son arrière-grand-père Antonio Vigili, né en 1883 et elle se demandait vraiment comment se faisait-il que Santina, ayant de la famille, fut confiée à un orphelinat. Je n’avais pas besoin de demander : je connaissais la triste période de pauvreté dans laquelle parfois, confier ses propres enfants à un institut était l’unique moyen de garantir leur survie. Santina au Collège n’aurait pas souffert de la faim et des privations qui trop souvent causaient la mort des enfants.
Pour avoir des nouvelles de l’arrière-grand-père, nous consultâmes à la Mairie, les registres des naissances de cette période. Nous trouvâmes à la fin une indication sur Vigili Antonio, né à Lugo.
Dans le même temps un autre français, s’était mis en relation via e-mail avec Andrea, le jeune homme qui s’occupe du site Internet sur l’histoire de CastelBolognese, pour avoir lui aussi des données sur Antoine Vigili. Nous découvrîmes peu après que le nouveau personnage qui était venu s’insérer dans l’histoire, était Alain, l’oncle d’Annette, le fils cadet de Santina. Commença ainsi la collaboration avec Andrea, bien plus expert que moi dans les recherches généalogiques, pour mettre ensemble le plus d’informations possibles.
La correspondance avec Annette se faisait de plus en plus rapprochée : elle m’envoya aussi quelques spécialités gastronomiques de sa région que j’appréciai beaucoup et de splendides cartes postales pour ma collection.
Je me rendis à Lugo, aux archives communales où je découvris qu’Antoine Vigili avait été trouvé, à peine né (âgé d’environ 3 heures) à la ruota degli esposti 1 , par le gardien du lieu. Le nouveau-né était vêtu de tout ce dont un bébé a besoin. Le gardien qui l’avait trouvé, lui avait donné un nom et un prénom, après quoi l’enfant fut envoyé à l’orphelinat pour bébés à Imola.
Pendant ce temps, les parents italiens retrouvés s’étaient échangés des lettres, des photographies et des nouvelles, ils avaient tant d’enthousiasme et d’envie de se connaître personnellement. Pendant quelques temps, entre les années Trente et Quarante, ils avaient tenu une correspondance sporadique avec Santina et son père, ensuite peu à peu, tout s’était interrompu. Probablement les nouveaux bouleversements que traversait l’Europe à cette époque et à la suite desquels on se préparait à vivre une nouvelle et terrifiante page d’Histoire, avaient interrompu les liens et dispersé les contacts familiaux. Gemma raconte que dans la maison il y avait une très belle photographie du mariage de Primo Vigili, mais que suite à la guerre et l’éparpillement de la famille, elle fut perdue ou détruite.
Toujours d’après les souvenirs de Gemma j’avais appris qu’en 1929, quand Santina quitta le Collège Emiliani pour aller en France, elle demeura quelques jours dans la famille de son oncle Antonio Plazzi, frère de sa mère. Là habitait aussi la grand-mère Antonia Naldi, laquelle durant le peu de jours où Santina resta, voulut à tout prix lui enseigner comment faire la pâte à la manière romagnole, parce qu’elle disait que là où elle se rendait, elle ne l’aurait certainement pas appris. Gemma se rappelle très bien cette anecdote, bien qu’elle ne fût qu’une très jeune enfant.
Le zèle d’Andrea avait porté ses fruits. Suite à des recherches ultérieures dans les archives, il avait découvert que Santina et Sœur Teresa Caterina étaient vraiment cousines au second degré, leurs grands-mères Antonia et Santa Naldi étaient sœurs. Donc les souvenirs de la Sœur Teresa étaient justes.
Andrea a trouvé aussi la composition complète de la famille Vigili. Après Primo, né en 1908, il y avait Santina, née en 1912 et encore Guerrino, né en 1914, qui mourut en 1918 puis Stefano, né en 1915, qui vécut à peine quatre mois. La pauvre maman Pasqualina mourut d’une broncho-pneumonie, 20 jours après la naissance de ce dernier fils, elle avait seulement 24 ans.
Longtemps après, Antonio, s’était remarié avec une autre italienne, Dosolina Dal Beo, avec laquelle il n’eût pas d’enfant. Il mourut dans l’Est de la France le 18 décembre 1942.
La sœur aînée de Gemma, à laquelle le prénom de la pauvre tante Pasqua avait été donné, a apporté d’autres éléments intéressants. Elle se souvenait qu’Antonio, surnommé “Gnè” était un très beau jeune homme et que la grand-mère Naldi répétait toujours que sa Pasqua ne l’était pas moins et qu’ensemble les jeunes mariés formaient un couple parfait, même si, malheureusement il se révéla très malchanceux.
Grâce aussi aux informations d’Amleto qui, avec Vanda, complète la famille Plazzi, nous avions découvert où la famille Vigili avait leur maison. Maintenant, à la place des modestes maisons du début du siècle, il y a quelques maisonnettes situées sur une bande de terre entre le fleuve Senio et le Canal des Moulins. La moins récente de ces maisons, même restaurée, serait l’authentique maison des Vigili!
Dans ce hameau de masures, dans les années 1914-1915 avaient résidé avec tous leurs enfants, mes arrière-grands-parents et les enfants avaient probablement joué ensemble!
Nos recherches sont pratiquement terminées!
La semaine prochaine Annette avec Alain et sa femme arriveront à Castel Bolognese pour enfin connaître leurs parents et leurs lieux d’origine. Nous les attendons avec beaucoup d’impatience. J’ai averti tous les parents intéressés, j’ai pris un rendez-vous avec le Maire et avec Don Gianni, j’ai fait en sorte qu’Annette, son oncle et sa tante passent une nuit au Collège Emiliani.
Tous ceux qui ont été amenés à entendre cette histoire, même s’ils n’y sont pas directement impliqués, ont été d’accord pour dire que c’est una cosa bellissima.
Moi, je voudrais rajouter que c’est très, très émouvant
Deuxieme partie
L’histoire, qui désormais n’est plus seulement une histoire mais une réalité, continue.
(Samedi 31 janvier 2004 – 16h00)
Les italo-français sont arrivés, animés d’un grand enthousiasme et d’une trépidante impatience. Ils sont trois, représentant un groupe important de descendants issus de l’ancienne souche née d’Antonio Vigili et Pasqua Plazzi. Il y a Annette que je connais désormais très bien et que je considère comme une tendre amie. C’est elle qui a éveillé la curiosité chez les autres et qui n’a jamais désespéré de faire ici à Castel Bolognese d’importantes découvertes.
Heureusement Annette parle un peu l’italien : elle continue à l’étudier toujours et avec grand profit. C’est cette motivation si forte et tellement sincère qui la portera à faire des progrès si notables. Elle m’aidera au cours des nombreux rendez-vous organisés et me sera utile aussi parce que je ne suis pas au mieux de ma forme : je ne me sens pas très bien depuis hier, je tousse et je crains d’avoir attrapé la grippe, d’autant plus que ma mère a la fièvre depuis quelques jours. Je ne peux pas me permettre d’être mal justement maintenant, moi qui ne suis jamais malade ! Ma présence est trop importante, je tiens trop à vivre en personne cet autre chapitre, peut-être le plus émouvant de cette longue histoire qui désormais fait partie de ma vie.
Alain, l’oncle qui a décidé d’accompagner Annette, est un personnage sympathique animé d’une extrême curiosité envers toutes les informations qui concernent de prés ou de loin sa famille d’origine. Il est le fils cadet de Santina.
Alain ne connaît pas notre langue et ne la comprend même pas un petit peu, ce qui m’interpelle et je lui demande comment cela est possible étant fils d’italiens ? La réponse est que les parents n’ont jamais parlé italien avec leurs enfants, peut-être craignant que l’usage des deux langues les perturbe étant donné qu’ils devaient grandir, étudier et vivre en “français”. Malheureusement aucun des enfants de Santina et Edoardo Poli ne connaît notre langue, mais ils se souviennent que les parents parlaient italien entre eux quand ils jouaient aux cartes afin que personne ne comprenne leurs accords ….
Alain est accompagné de son épouse Maryse, une femme très douce, très “française”, qui, même si elle ne connaît pas notre langue, sait inspirer et communiquer une grande sympathie emprunte d’humanité.
J’ai pensé les faire séjourner à Riolo Terme, parce que quand j’ai eu confirmation de leur arrivée, ici il faisait un temps de chien : neige, verglas et froid polaire en définitive c’étaient les jours les plus mauvais de l’hiver. Je n’ai pas cru bon réserver le Gîte que j’avais contacté parce que difficile d’accès par mauvais temps. Le choix s’est donc posé sur un Hôtel-restaurant de Riolo Terme, du fait de sa situation pratique et proche de notre pays où se dérouleront les rencontres.
Le samedi de l’arrivée, après un arrêt chez moi, Andréa et moi sommes invités à dîner avec eux à l’hôtel Alma, où nous continuerons la conversation entamée dans l’après-midi. Les nouvelles et les demandes d’information s’entrelacent avec l’apport de très nombreuses photographies apportées exprès pour nous être montrées à nous et aux parents que le lendemain, dimanche, ils rencontreront. Une partie de la famille Plazzi se trouvera, dans l’après-midi, à l’église de Biancanigo où on célèbrera une messe anniversaire pour le mari de Gemma, disparu il y a quelques années.
(Dimanche 1er février 2004)
Dimanche matin, en attendant la rencontre fatidique, les français se promènent comme des touristes à travers le pays. Ils se rendent au cimetière où Annette se souvient avoir vu, la dernière fois, une tombe des défunts Naldi, nom qui conduit à la parenté de la grand-mère de Santina. Il y a une femme près de cette tombe et Annette, l’interpellant, découvre qu’il s’agit de Jolanda, fille de Angelo Naldi, enterré ici avec sa femme, c’est donc leur cousine de quelques degrés. C’est un hasard extraordinaire que Jolanda soit sortie pour se rendre au cimetière, non seulement parce qu’elle a subi depuis peu une intervention aux yeux mais aussi parce qu’elle se trouve là justement au même moment. Il s’agit de la première parente rencontrée, découverte par eux-même.
A Biancanigo, pendant que les Plazzi suivent la messe, nous allons ensemble voir le lieu où se dresse la maison autrefois habitée par la famille Vigili. L’émotion est tangible : on photographie, on commente, on décide que la moins rénovée des maisons actuelles est celle dont ils souhaitent se souvenir. Alain gare la voiture pour descendre jusqu’au fleuve et ramasser une poignée de terre pour rapporter avec lui en France.
La rencontre avec les Plazzi, organisée chez Gemma dans l’après-midi, rassemble une trentaine de personnes émues et toutes parentes d’une façon ou d’une autre, descendant toutes de la même souche. On feuillette de vieilles et récentes photographies des deux parties ; on cherche et on trouve des ressemblances physiques avec tel ou tel individu, il s’agit de traits communs, de couleur de cheveux, les yeux, la forme du visage, les expressions….
Chacun a son histoire à raconter et moi, en mauvaise forme et avec la voix cassée, j’explique à l’un à peine ai-je terminé avec l’autre. La confusion qui se crée est très très belle parce que tous parlent en même temps, tous veulent savoir et comprendre, tous sont émus et heureux. Annette qui par ailleurs a mal à la tête, se débrouille à se faire comprendre et à comprendre et s’en tient à quelques-uns. Alain, qui ne comprend pas ce que disent les autres, aussi parce qu’ils parlent entre-eux en dialecte, me fait remarquer : “Ecoute, écoute ils parlent tous de Piro di Sumèr”, relevant que la conversation tourne autour du surnom de Pietro Naldi, frère de la grand-mère de Santina.
Tous veulent accueillir chez eux les parents français retrouvés. Nous faisons un peu le planning mais le temps est court et les choses à faire si nombreuses. Nous décidons de nous rendre de suite chez Amleto qui par ailleurs habite dans la maison de famille où Santina fut hébergée en 29 avant de partir pour la France. La maison a été agrandie et rénovée, mais il y a encore des traces du passage de Santina comme la Madia sur laquelle elle apprit à faire la pâte, cette pâte qu’elle tirera si souvent en France pour faire les pâtes à l’italienne qui plaisent tant à Annette et Alain et aussi à Maryse qui cuisine italien grâce aux enseignements de sa belle-mère.
Avec Amleto et sa femme qui nous montrent leur maison et les photographies des enfants, se termine cette journée si pleine d’émotions où les vieux souvenirs ont émergés de l’oubli et surgis d’un lointain passé. Tout ceci traite des descendants d’une même lignée que les évènements de la vie avaient séparé, en éloignant un groupe parti vivre dans un autre pays. Peu à peu la distance avait effacé les souvenirs et les traces des uns et des autres. Aujourd’hui dans cette exceptionnelle circonstance ils se sont retrouvés pour le bonheur de tous.
(Lundi 2 février 2004)
Visite de Lugo et Rimini, Anna se repose !
(Mardi 3 février 2004)
Ayant peu de jours à leur disposition, les français, infatigables, se livrent à un véritable tour de force. Une visite au prêtre était convenable pour le remercier de la disponibilité démontrée envers Annette lors de la première rencontre en septembre dernier. Don Gianni met à disposition les archives paroissiales que l’on regarde, compulse et on photographie les actes de baptêmes, de mariage et de décès des membres de la famille Vigili. Grâce à la précieuse collaboration d’Andréa, véritable expert dans la lecture des documents d’archives, on remonte aux générations beaucoup plus antérieures que celle de notre histoire qui compte un peu plus d’un siècle.
Toutes les informations trouvées contribueront à compléter l’arbre généalogique de la famille qu’Alain est en train de rédiger pour en faire don à sa petite fille Lisa qui en ce moment a seulement 4 ans. Pour avoir encore d’autres informations ils se sont rendus aux archives communales de Lugo, où il y a deux mois j’avais retrouvé les traces de la naissance de Antonio Vigili. Malheureusement la recherche pour le moment s’arrête à l’orphelinat de Imola. Il existe des archives et Andréa et moi nous les avons visionnées mais très vite nous avons été arrêtés par la bureaucratie et la loi sur la protection de la vie privée, donc les recherches continueront après la demande écrite des parents eux-mêmes. L’objectif est de retrouver le parcours de Antonio jusqu’à son mariage en 1907.
Nous visitons aussi les archives communales de Castel Bolognese : il semble important qu’ils voient de leurs propres yeux les documents qui concernent leurs ancêtres.
La rencontre avec le maire est un des moments les plus significatifs de leur pèlerinage. Il s’entretient avec eux très aimablement et leur offre quelques rares livres de l’histoire du pays afin qu’ils réalisent comment vivaient leurs aïeux. C’est une chance d’avoir eu ces précieuses publications désormais épuisées depuis longtemps. Ils reçoivent aussi en cadeau le fanion, copie de l’étendard de notre commune. Nous visitons les diverses salles de l’Hôtel de Ville et le Maire se propose volontiers pour les commenter. La maman d’Andréa est présente elle aussi, elle voulait connaître les personnes qui depuis si longtemps échangent des e-mails avec son fils. Parce que le temps est de plus en plus serré, j’ai fait en sorte qu’une autre parente Lucia Naldi, qui aurait voulu les recevoir chez elle, fut au moins présente au rendez-vous de la Mairie. Les français sont agréablement surpris d’avoir trouvé autant de parents, chose qu’ils n’auraient jamais imaginée.
Le déjeuner chez Gemma est un autre moment de bonheur : elle a préparé les cappelletti à la romagnole que Santina aussi cuisinait pour les jours de fêtes. Ensuite nous avons mangé un lapin provenant de l’élevage de Amleto. Il y a Enrico le petit fils de Gemma, cousin de troisième ou quatrième génération mêlé de fait dans l’événement. Durant la cérémonie des adieux, se déroulant dans le jardin de Gemma, le soleil étant complice de cette belle journée, arrive un petit imprévu qui nous alarmera, mais qui très vite trouvera un dénouement heureux. Malencontreusement Alain ferme la porte de la maison de Gemma qui est dehors avec nous et qui n’a pas la clé sur elle. Il y a aussi avec nous Amleto et Vanda qui sont venus nous rejoindre après le repas, mais personne ne sait comment faire. En bref nous contactons un artisan qui très courtoisement et avec beaucoup de sollicitude nous sort de l’embarras. Alain retrouve le sourire et Gemma qui l’appelle “Alex” l’embrasse comme du bon pain.
Nous partons pour Fognano où les français passeront la nuit, c’est le moment sûrement le plus émouvant de leur séjour. Se retrouver dans ce merveilleux établissement où Santina vécut son adolescence et sa première jeunesse, dans ces salles qui ont peu changé depuis lors, parcourir ces infinis couloirs qui tant de fois avaient vu courir Santina avec ses compagnes, manger dans le même réfectoire et se promener dans ces splendides jardins où se déroulaient les jeux des étudiantes, c’est vraiment comme faire revivre Santina, souligne d’une voix douce et recueillie le fils Alain.
La ténacité d’Annette et la disponibilité des sœurs permettent de retrouver de magnifiques photographies de Santina. La petite Sœur Teresa Caterina, d’un nom plus grand qu’elle, est heureuse d’être au centre de l’attention et raconte continuellement ce qu’elle réussit à se souvenir mais malheureusement sa mémoire se fait chaque jour plus confuse.
Nous les laissons aux prises avec les photographies et souvenirs lointains. C’est bien qu’ils aient pu rester dormir ici.
(Mercredi 4 février 2004)
Demain matin ils partiront pour Venise ils ne l’ont jamais vue et l’attirance est grande même si la journée n’est pas des meilleures. Le brouillard perturbe le voyage et la vision de la Serenissime.
En outre ils ont peu de temps et pour apprécier au mieux cette cité, des conditions autres sont nécessaires. C’est pourquoi cette brève visite les incite à penser y revenir : Venise est envoûtante et fascinante et sait capturer et convaincre ses visiteurs.
Le temps est tyrannique et court très rapidement surtout s’il porte la joie et le bonheur. Ces cinq jours se sont envolés comme le vent, laissant les remords pour les choses que l’on n’a pas pu faire et l’insatisfaction de n’avoir pas pu rester plus longtemps dans les lieux rêvés et avec les personnes retrouvées.
(Jeudi 5 février 2004)
Le programme de la dernière journée à passer ensemble nous amène à Faenza, à la recherche de céramiques. Nous n’avons pas eu besoin de parler de Faenza et de sa magnifique production artistique : ils l’ont découvert tous seuls, admirant dans les maisons visitées de nombreux exemples de cet art. Pour employer moins de temps, étant donné le trafic et les difficultés pour se garer dans nos villes surbondées, j’ai contacté la boutique d’un groupe d’artiste les “Maestri Maiolocari Faentini”, qui se trouvent en dehors du centre urbain. Il aurait été intéressant de visiter le centre historique de Faenza, j’aurais été très fière de leur montrer les coins les plus pittoresques de la ville où on respire l’Histoire, comme dit Maryse à propos de ce qu’elle a vu dans notre pays.
Le temps qui reste nous devons le passer différemment. Nous sommes attendus en fin de matinée chez Pasquina, la fille aînée des enfants Plazzi qui nous conduira avec sa fille Nives visiter “Itaca” la maison d’édition fondée par son mari Eugenio. Nous sommes tous très agréablement touchés par cette opportunité qui nous est si gentiment offerte. Eugenio qui s’efforce à comprendre et à s’exprimer en français ne manque pas de nous fournir des explications et d’offrir des publications qui ont à voir avec Castel Bolognese.
Le repas chez eux nous amènera jusque dans l’après-midi : Alain qui très sérieusement, depuis le matin avait dit qu’il voulait partir très tôt pour Florence, n’arrivait pas à se lever de table. Il est complètement à son aise, comme nous le sommes tous du reste, plus de problème de langue, dépassés par la joie d’être ensembles. On continue les discussions, on regarde les photographies, on touche comme une relique les vieilles photographies de noces de Antonio et Pasqua et du fils Primo avec sa femme, envoyées en son temps depuis la France. Ces dernières photographies étaient en possession d’une autre cousine, Domenica Altieri, parenté dont je n’avais pas connaissance et je n’ai donc pas pu la contacter pour la faire participer à cette rencontre.
Annette – qui désormais comprend l’italien comme nous- et moi essayons d’expliquer encore une fois comment nous nous sommes rencontrées et comment a commencé cette histoire. Je ne me lasse jamais de la raconter : c’est tellement beau ! Elle m’a apporté tant d’enthousiasme et d’émotion ! J’ai travaillé dans les recherches comme s’il s’agissait de ma famille. J’avoue que parfois je me sens si proche des protagonistes de cette histoire qu’il me semble vraiment être des leurs. Quand Alain, souriant, me demande si moi aussi je suis une de leur cousine, je pourrais répondre quasiment “Oui”. J’ai impliqué avec émotion les personnes qui me sont proches et aussi celles à qui nous avons demandé de l’aide ou tout simplement celles qui ont eu vent de cette histoire.
Annette à qui j’ai donné une copie du récit qui évoque l’aventure des recherches des origines de sa famille, insiste pour qu’il soit lu à voix haute. C’est Eugenio qui s’y prête et qui à la fin lance l’idée de le publier au bénéfice des parents et amis intéressés.
Par manque de temps, nous n’avons pas pu rencontre Monsieur Minzoni, voisin dans sa jeunesse de la famille Vigili, dont il conserve des souvenirs très nets.
Il se fait tard et nos amis doivent absolument partir pour la Toscane. Demain ils rejoindront Pracchia, pour chercher des informations sur les aïeuls du père d’Alain. Nous échangeons les derniers embrassements, les promesses de se retrouver, les éventualités possibles d’un jumelage entre nos deux pays et enfin nous nous séparons, conscients d’avoir vécu quelque chose de positif.
Les français sont partis avec dans le cœur plein de nouveaux sentiments et avec la certitude absolue que leur chère Santina avait bien vécu durant ces longues années que les tristes circonstances avaient contraint à vivre en Italie, seule.
(Jeudi 5 février 2004 – 17h00)
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